Extraits d'un
rapport concernant le
départ du camp des Milles des internés
livrés par
Vichy aux nazis
et transférés de la zone dite "libre" en zone
occupée,
d'où ils allaient repartir très vite pour
Auschwitz-.
Ce rapport daté du 24 août 1942 porte la cote
CCXIII-115.
Il
concerne les départs des 11 et 13 août 1942 :
Déportation
des
enfants
Nous avons assisté dans la
matinée du
Lundi au départ des enfants. Pendant qu'on les faisait
monter
dans des
cars avec leur mince bagage des scènes
déchirantes se
sont
produites. Les enfants jeunes, qui ne pouvaient comprendre les raisons
de
cette séparation, s'accrochaient à leurs parents
et
pleuraient.
Les aînés, qui savaient combien la douleur de
leurs
parents
était grande, tentaient de dominer leur peine et serraient
les
dents.
Les femmes s'accrochaient aux portiéres des cars qui
partaient.
Les
gardes et les policiers eux-mêmes dominaient mal leur
émotion.
L'impression était d'autant plus affreuse que jusque
là,
le
plus grand calme avait régné dans le camp. Une
résignation
pesante et amère se lisait sur les visages. Aucune
protestation,
aucun
cri d'indignation ou de oolére ne se faisait
entendre. Il
semblait
qu'après tant d'épreuves les internés
n'avaient
plus
là force de se rebeller contre leur destin.
Arrivée à Drancy des
enfants
transférés de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers
(Estampe
de Georges Horan)
Dans
les wagons
Dans l'après-midi du lundi
d'importantes forces
de police cernèrent le Camp et l'appel des premiers partants
commença. 260 personnes furent rassemblées et
dirigées sur la gare des Milles où attendait un
train de
marchandises. la mise à bord des wagons se prolongea fort
avant
dans la nuit. Les déportés étaient
réunis
par famille dans des wagons de transport, sans banquettes ni
couchettes, recouverts seulement d'une couche de paille. Les wagons ont
été hermétiquement fermés
pour la nuit.
le train n'a pris la route, pour une destination inoonnue que dans la
matinée
du mardi 11 Août.
Déportation
des
parents
Au lendemain du départ du
premier convoi les
autorités du Camp continuèrent sans attendre le
recensement et le triage de
ceux qui restaient encore. Rassemblés dans un
vaste espace
libre au centre du camp, en plein soleil, cernés par des
gardes
mobiles, l'arme sur l'épaule, les Internés
étaient
appellés par ordre alphabétique. Il
leur
était interdit de s'éloigner. Epuisés
par
l'attente et l'inquiétude, ils s'allongeaient sur le sol ou
s'appuyaient au bras d'un camarade. Quelques uns à bout, de
force perdirent connaissance et dûrent être
transportés à l'infirmerie.
Brutalité
de la police
française
Portant ou traînant leurs
bagages,les
déportés obéissaient avec calme aux
indications
qu'on leur donnait.
Il faut ici signaler un pénible changement d'attitude de la
part
des policiers. À la relative réserve de la veille
avait
succédé une attitude beaucoup plus
brutale. Les
gardes harcelaient la colonne, qui n'avançait pas assez vite
à leur gré, appuyant
de coups de bottes leurs exclamations. On vit même
un
capitaine
de gendarmerie frapper d'un coup de poing un
déporté.
Devant ces scènes un pasteur protestant qui se trouvait sur
les
lieux
fit, après d'autres, une démarche
auprès de
l'Intendant
de police (qui ne quitta pas le camp pendant ces journées).
Le
capitaine de gendarmerie fût sévérement
réprimandé, et - sur ordre - la conduite des
policiere
devint moins révoltante.
Suicides
Parfois un éclat
déchirait
l'étrange calme qui régnait sur le
Camp.
C'était un homme, ou
une femme, à bout de résignation, qui tentait de
se
suicider
en avalant du poison ou en se tranchant une veine. On oompta dans la
seule
journée de Mercredi huit tentatives de suicide. Par une
amére
consolation on put obtenir l'annulation de l'ordre de départ
pour
ces malheureux.
L'attente
dans les wagons
Les équipes de distribution de
vivres se
rendirent dans la nuit auprès des wagons. Sur le talus qui
séparait
la voie de la route, des policiers, fusil sur l'épaule,
lampe
électrique à la ceinture, faisaient les cent pas.
Les
faisceaux de leurs lanternes éclairaient seuls le train qui
semblait, égaré dans
cette ombre, sans origine et sans but. Dès que les
factionnaires
faisaient coulisser la porte du wagon, les
déportés se
précipitaient, suppliaient qu'on les laisse au moins
descendre
un instant. Mais les ordres étaient formels. Le
responsable désigné dans chaque
wagon était seul appellé et prenait possession
des colis
pour
ses conpagnons de voyage.
Le
départ
Au matin, pendant que les
équipes sociales
juives et non faisaient la haie sur le talus, le train prit lentement
le départ. On agitait des mouchoirs, comme pour de
dérisoires vacances, mais
les larmes remplissaient tous les yeux. Pas un cri, pas une
protestation
ne vint des wagons, ou les visages se pressaient derrière
les
croisillons
des fenêtres. Et ce silence, ce courage paisible
jusqu'au
dernier instant, était plus déchirant que des
larmes.
cité par Serge Klarsfeld,
Le
Mémorial de la Déportation des Juifs de France