Les
dernières lettres de la petite Marie Jelen, 10 ans,
permettent
de suivre son itinéraire.
Marie a été arrêtée
à Paris, le 16
juillet 1942, lors de la rafle du Vél'd'hiv, avec sa
mère. Elle écrit à son
père, Icek Jelen,
qui était travailleur agricole dans les Ardennes (zone de
colonisation allemande), à Frénois, tout
près de
Sedan.
La
famille est d'origine polonaise. Elle habitait Paris, 58 rue de Meaux,
dans le XIXe arrondissement,
où le père exerçait la profession de
tailleur,
dans une boutique. Le magasin fut fermé
en raison du Statut des Juifs et des mesures d'aryanisation.
L'arrestation : la rafle du
Vél' d'Hiv', juillet
1942
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1ère
lettre
Cher papa
On
nous
emmène au Vélodrome d'hiver mais faut pas nous
écrire maintenant parce que c'est pas sûr qu'on
restera
là.
Je
t'embrasse bien fort et maman aussi,
ta
petite fille qui pense toujours à toi,
Marie
[en yiddish, de la main de la
maman :]
Zay gezindt, dayn Rayzel
[ = Sois en bonne
santé, ta Rayzel ]
Mr
Jelen
Fresnoy
Ardennes
Transportée
à
Pithiviers
Marie et
sa mère Estéra sont
tranférées, avec des
dizaines d'autres enfants, au camp de Pithiviers, dans le Loiret.
Le camp de Pithiviers,
gardé
par un gendarme français
Là, les conditions de vie sont difficiles pour les enfants,
souvent séparés de leurs parents. Les maladies
infantiles
se transmettent à grande vitesse. Après la
scarlatine,
Marie attrapera la varicelle.
Le 31 juillet 1942, Marie est
séparée de sa mère Estéra,
déportée vers Auschwitz avec 358 autres femmes et
690
hommes. Ce convoi parviendra à Auschwitz le 2 août
1942.
La maman de Marie fut immatriculée (entre le matricule 14156
et
14514) et mourut assez rapidement.
Marie reste seule.
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2ème
lettre (carte postale)
Mon
cher papa
Je
suis malade, j'ai
la scarlatine, ce n'est pas très grave mais ça
dure
très longtemps. Il faut rester 40 jours au lit, les premiers
jours on n'a pas le droit de manger, alors on boit du lait. Je suis en
très bonne santé. il y
a 18 jours que je suis malade. on mange bien, de la purée de
pommes de terre, du riz, du vermicelle.
Je
t'embrasse bien fort,
ta
petite fille qui t'aime,
Marie
L'infirmerie
de Pithiviers
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3ème
lettre
27
août 1942
Mon
cher papa
je
profite de mon temps pour t'écrire une deuxième
carte. je
m'exuse de ne pas avoir écrit plus tôt parce que
dans
l'infirmerie il y a des enfants plus petits que moi alors quand
l'infirmière et la dame qui s'occupe des enfants malades ne
sont
pas là les grands doivent s'occuper des plus petits. J'ai
retrouvé mes camarades de paris. J'ai vu Fanny avec son
petit
frère. quand j'étais pas malades je jouais tout
le tant
avec elle et aussi j'ai retrouvé Robert avec sa
mère et
son père. alors je ne m'ennuyais pas. [...]
je
t'embrasse bien fort.
ta
petite fille qui t'aime beaucoup
Marie
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4ème
lettre
Le 29 août
Mon
cher papa
J'espère
que
tu ne t'ennuie pas de trop et que les pommes de terre poussent bien.
moi ça va bien mais je m'ennuie quand même un peu.
Il y a
quelques jours on s'est bien amuser. la dame qui nous garde nous a
donné du pain d'épice avec des poires et des
prunes on
s'est bien régaler. la dame est très gentille
avec moi.
on est très gâtée. s'est bon ce qu'on
nous donne
à manger seulement on a pas le droit de manger des choses
salées alors quand c'est pas sucré c'est pas bon.
Je
pense beaucoup à toi. est-tu en bonne santé ? moi
si je
suis seulement fatiguée de rester dans mon lit alors je me
lève un peu. Je n'ai plus rien à
t'écrire.
Je
t'embrasse bien fort.
ta
petite fille qui t'aime
Marie
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5ème
lettre
Le
2 Septembre
Mon
cher papa
Je
t'écris
encore une fois pour te dire que je vais bientôt
être
guérie. J'ai bonne appétit, je mange bien, je
dors bien
et je m'amuse bien. j'espère que tu ne t'ennuie pas trop,
que tu
mange bien, que tu dors bien, comme moi et que tu es en bonne
santé. Je ne sais plus quoi t'écrire.
Je
t'embrasse bien fort.
ta
petite fille qui t'aime beaucoup
Marie
6ème
lettre
Phitiviers le 11 9/42
Mon
cher papa
je
m'exuse de ne pas
t'avoir écrit plus tôt. tu vas pouvoir m'envoyer
un colis
2 fois par mois et une lettre tous les semaines. dans l'enveloppe tu
vas en trouver une autre dans laquelle il y aura une fiche que tu
devras coller l'enve[loppe de la] lettre tu [vas] m'écrire
il
[faut] la mettre dans l'autre enveloppe. je ne te demande pas grand
chose parce que je sais que tu ne pourra pas m'envoyer beaucoup. quand
retournera-tu à Paris. moi je m'ennuie beaucoup.
Je
t'embrasse bien fort.
ta
petite fille qui t'aime beaucoup
Marie
A l'heure
où l'administration française met en place un
système compliqué de contrôle de la
correspondance
des internés, comme on vient de le voir, la
déportation
des enfants a déjà été
décidée plus haut.
Le 19 septembre 1942, le
secrétaire
général de la police, Bousquet adresse un
courrier au
préfet régional d'Orléans pour lui
demander
« de ne pas s'opposer au départ des juifs
internés
au camp de Pithiviers ». Il sera entendu.
La
dernière lettre
Voici
la lettre que la
petite Marie Jelen adresse le 18 septembre 1942 du camp de Pithiviers
à
son père :
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7ème
lettre et dernière lettre
Pithiviers
le 18 9 42
Mon
cher papa
Il
y a
très longtemps que je n'ai t'aie pas écris parce
que
j'attendais la permission d'écrire des lettres. tu va
pouvoir
m'envoyer une réponse dans l'autre enveloppe. je voudrais si
tu
peux que tu m'envoie ma photos celle de maman et la tienne. il y a
très longtemps que je ne t'ai pas vu. j'espère
que je te
reverrais bientôt. essaie de me faire
sortir ainsi je serais avec toi, ici je perds toutes mes forces. J'ai
beaucoup maigris, je suis
encore malade, j'ai attrapé une autre maladie, la varicelle,
il
y
a des gens qui disent qu'on va libérér les
enfants qui
ont moins
de
16 ans. j'espère que j'aurai la réponse le plus
tôt
possible.
Sois en bonne santé, surtout ne tombe pas malade comme moi
je
fais.
ne t'ennuie pas comme moi car je pleure souvent en pensant à
toi.
Ta
petite
fille qui t'aime et qui t'embrasse bien fort
Marie
Trois jours après avoir
écrit cette lettre, Marie Jelen a
été
déportée par le convoi n°35 qui
est parti de
Pithiviers (France) le 21 septembre 1942. Avec elle, 1015 autres
personnes, entassées dans des wagons
à bestiaux. Il y avait 163 enfants parmi eux car aucun
enfant de
moins
de 16 ans n'a été libéré.
Le convoi est
arrivé à Auschwitz le 23 septembre 1942.
210
hommes et 144 femmes ont été
sélectionnés
pour le travail à l'arrivée au camp. Parmi eux,
23
seulement étaient encore en vie en 1945. Mais tous les
enfants
et la plupart des adultes ont été
immédiatement
conduits vers les chambres à gaz.
La
petite Marie
Jelen, qui se préparait à
fêter son
11ème
anniversaire (Elle était née le 20 octobre 1931) est
morte
gazée à Auschwitz, le 23 septembre 1942.
Photographie
et lettres de Marie
Jelen
publiées avec
l'aimable autorisation de son frère, Serge Jelen, octobre
2003.
Poupées
confectionnées par des enfants au camp de Drancy
et conservées au Musée du mémorial
Juif (Paris)