Doriane de Pret, de Belgique, m'écrit : « Je me permets de solliciter votre aide à propos d' un travail que je dois présenter dans le cadre de mon cours d'allemand et ayant pour thème "Berlin et les Juifs". J'aurais voulu savoir si vous aviez des documents à me fournir concernant l'arrivée des Juifs en Allemagne, et des anecdotes ou récits sur l'holocauste survenu pendant la triste période du IIIème Reich. »
La présence de la communauté juive à Berlin est attestée à partir de la fin du XIIIème siècle.
Si les Juifs allemands ont dans l'ensemble vécu assez paisiblement à Berlin, on trouve des exemples de persécution.
10 juillet 1510 | Les juifs de Berlin sont accusés d'avoir
profané une
hostie et d'avoir volé des vases consacrés dans
l'église
du village de Knoblauch, près de Berlin. 111 Juifs sont
arrêtés , dont 51 sont
condamnés à
mort et 38 brûlés
sur le bûcher érigé sur la nouvelle
place du
marché. En 1539, cependant, la diète deFrancfort reconnaîtra l'innocence de tous ces Juifs. Simon
Wiesenthal, Le livre
de la mémoire juive, Calendrier d'un martyrologue,
Laffont,
1986
|
Au début du XXe siècle, les Juifs tiennent à Berlin des commerces et participent à toutes les activités de la vie de l'Allemagne :
Il y a plusieurs synagogues à Berlin, dont une très récente :
Premier signe d'alarme : l'assassinat de Walther Rathenau, ministre allemand des Affaires Etrangères, le 24 juin 1922. Rathenau était d'origine juive. Il est assassiné à Berlin par des précurseurs du nazisme. Ceux des meurtriers qu'on parvient à arrêter sont condamnés à cinq ans de prison.
Plus tard, les nazis commencent à prendre de l'importance. Simon Epstein a décrit la façon dont les Juifs allemands, et particulièrement ceux de Berlin, ont lutté contre les nazis :
La lutte des Juifs de Berlin contre les nazisProtestationsUn grand rassemblement est organisé à Berlin, en octobre 1928, pour protester contre les profanations de cimetières juifs qui se multiplient depuis le début des années 1920. Les rapports détaillés du Central Verein (Union centrale des citoyens allemands de religion juive) s'efforcent de quantifier le phénomène et de suivre sa progression période par période et région par région. Les chiffres n'ont rien d'apocalyptique, puisque les profanations se produisent au rythme moyen d'une douzaine par an. C'est surtout l'identité des coupables, quand ils sont retrouvés par la police, qui inquiète les Juifs allemands : ils sont toujours jeunes, agissant spontanément, en petites bandes et sans plan concerté. Certains sont nazis, mais ils commettent leur forfait de leur propre initiative et non en application de directives qu'ils auraient reçu de leur parti. Collectées dans les sections de base et centralisées dans les fédérations régionales du Central Verein, les informations convergent vers Berlin, où elles sont analysées. Elles font état, à l'automne 1928, d'un regain d'activité national-socialiste. Les nazis qui progressent (1929-1930)Les nazis améliorent en 1929 leurs scores électoraux. Le Central Verein n'est pas pris au dépourvu par un phénomène que divers indicateurs lui avaient fait pressentir à la fin de l'année 1928 et dans les premiers mois de 1929. Il se dote donc en automne 1929 d'une structure d'intervention, appelée le Büro Wilhelmstrasse (le bureau de la Wilhelmstrasse à Berlin) et connue sous ses initiales « BW ». Le nouvel organisme se spécialise dans les activités de propagande indirecte. Il publie tout le matériel (brochures, tracts, affiches et journaux) que le Central Verein ne signe pas de son nom mais de sigles généraux (du type : Union des citoyens pour la démocratie) destinés à masquer leur provenance juive. La direction politique et l'allocation des ressources, qui sont considérables, restent sous la responsabilité du Central Verein. L'animation quotidienne est confiée à une équipe de militants juifs et non juifs. Les incidents se multiplientA Berlin, Goebbels pousse à,l'agitation antijuive depuis que les autorités prussiennes ont,interdit le port des uniformes bruns. Les incidents de rue se,multiplient. Le RjF (Reichsbund jüdisher Frontsoldaten : Union d'empire des soldats juifs combattant du front) organise le 1" juillet 1930 un grand rassemblement avec 4 000 participants. Nous avons survécu à,l'Inquisition, nous survivrons bien aux nazis, dit un orateur,sioniste. Un représentant du gouvernement prussien réaffirme que les pouvoirs publics interviendront avec toute lafermeté nécessaire. Georg Bernhard (1875-1944) menace les nazis d'une réplique violente s'ils devaient persister dans,leurs agressions. La vague brune (1930-1931)De nouvelles élections sont prévues pour le 14 septembre 1930. Les nazis y voient l'occasion de confirmer leurs récents succès électoraux et de pénétrer en force au parlement. Leur campagne s'annonce trépidante. « Prends garde, Juif, Hitler arrive! », menace le journal de Goebbels à Berlin. Sionisme ou poursuite du combat ? Le vote des Juifs de Berlin en 1930A quoi sert de se battre ainsi, disent les sionistes aves à leur tête Kurt Blumenfeld ? L'argent dépensé dans la propagande n'a pas empêché 6 millions d'Allemands de voter pour un parti ouvertement antijuif. Il est urgent, en revanche, de concentrer les forces juives sur la construction du pays juif, en Palestine. Comment se défendre ?Les groupements juifs (RjF et JAD) ne peuvent naturellement être présents partout à la fois. Ils sont dans l'incapacité quasi complète d'empêcher les violences. Ils ne peuvent non plus punir les attaquants, pour la raison que les nazis frappent une population civile très vulnérable. Toute agression confronte les milices juives à une impasse qui reste sans issue. Elles ne peuvent, pour des raisons évidentes, exercer de représailles sur la population civile non juive, c'est-à-dire sur des Allemands qui vaquent à leurs occupations quotidiennes. Elles doivent répliquer sur les SA eux-mêmes, ce qui est certainement moins facile à faire qu'à dire mais n'est pas impossible au plan technique. L'affrontement entre SA et Juifs se déroule dans des conditions structurellement asymétriques qui interdisent à ces derniers de prendre l'initiative ou même de répliquer. d'après Simon Epstein,
Histoire du peuple juif au XXe siècle, Hachette Littérature, 1998 |
Dès l'arrivée de Hitler au pouvoir en janvier 1933, les persécutions commencent.
Arrestation par la police d'un vieux Juif à Berlin en 1934.
Un ancien magasin juif a été
transformé en vitrine
de propagande raciste.
On y voit un appareil à mesurer les crânes.
Sous le titre "Rassenpflege" (Préservation de la race),
on vante les mérites d'un "Rasseforscher" (chercheur
scientifique
en races)
inventeur de cet appareil.
La petite fille qui pose devant la vitrine est juive : c'est la fille
du photographe Roman Vishniac.
C'est dans un faubourg de Berlin, à Wannsee, que se réunit la Conférence chargée d'organiser techniquement l'extermination totale des juifs d'Europe.
Sur cette conférence, voir page sur les débuts de la Shoah.
Il y eut quelques centaines de Juifs qui réussirent à survivre dans Berlin pendant la guerre. Il s'agit, dans quelques cas très rares (pas plus de 2000 pour toute l'Allemagne), de Juifs cachés dans des familles antinazies.
Il y aussi la situation des "demi-juifs" et de certains Juifs employés dans les unsines d'armement. Ainsi, en octobre 1941, 18.700 Juifs travaillaient dans les industries berlinoises dont 10.474 dans la métallurgie.A la demande des responsables du "Plan de Quatre Ans" d'armement, Heydrich accepta de ne pas les déporter le 10 janvier 1942.
Mais Hitler lui-même, à l'automne 1942, ordonna que les Juifs soient retirés des usines d'armement. Ils furent alors déportés.
Les Juifs de Berlin, comme partout en Allemagne, reçurent l'ordre de n'habiter que des "maisons juives" dont la Gestapo avait l'adresse. Il s'agissait de ghettos sans murs.
Près de 73.000 Juifs vivaient à Berlin au début d'octobre 1941 (selon Karl Ebner témoignant au procès Novak en 1961).
La Gestapo se chargea de leur déportation : Otto Bovensiepen puis Wihelm Bock, les chef de la Gestapo de Berlin, avaient sous leurs ordres Gerhard Stübbs pour les affaires juives et Franz Prüfer.
Au début d'octobre 1941, Prüfer convoqua les responsables de la communauté juive et les informa, sous le sceau du secret, des la prochaine "transplantation" (Umsieldung) des Juifs de Berlin. Il demandait l'assistance de la communauté, "sinon, ce serait les S.A. et les S.S. qui s'en chargeraient". La communauté devrait remettre des listes de noms, veiller à ce que les déportés emmennent des bagages. Les responsables de la communauté Martha Mosse et Moritz Henschel décidèrent de se plier aux ordres de la Gestapo. Ils fournirent des listes et participèrent à l'organisation des convois. C'est ainsi qu'à chaque départ de convoi, des auxiliaires juifs accompagnaient les Juifs aux points de rassemblement, s'occupaient du ravitaillement et les encadraient au moment du départ.
Un policier de Berlin note que les Juifs donnaient l'impression d'être parfaitement calmes (einen sehr gefassten Eindriick) et que tous, sans exception, le suivaient sans protester (und gingen ausnahmslos ohne Widerspruch mit}. Mais ils furent néanmoins plus nombreux à songer au suicide.
Le 29 juillet 1942, il ne restait plus que 50.000 Juifs dans Berlin et Prüfer exigea une liste complète de tous les Juifs de Berlin, avec des informations détaillées sur chacun d'eux. Mais Prüfer et Stübbs sont éliminés pour malversation.
C'est Aloïs Brunner qui reprend la succession. Il durcit ses relations avec la communauté juive, exigeant par exemple que tout Juif se lève quand entrait une personne de "sang allemand". Il exige l'organisation d'un service d'ordre juif (les "Ordner") pour aider la Gestapo pendant les rafles; quiconque refuserait ou préviendrait les Juifs serait abattu. Brunner ne reste pas longtemps mais fait déporter près de 20.000 Juifs.
Walter Stock prend la suite. Il organise de grandes rafles dans les usines mêmes où travaillent encore des Juifs : des camions de la division S.S. Adolf Hitler pénètrent directement dans les usines où les Juifs sont arrêtés dans leurs vêtements de travail.
Le nombre des Juifs qui, dans la totalité du Reich, réussirent à rester effectivement cachés jusqu'à leur libération ne fut certainement pas supérieur à 2000, et sur ce total la moitié environ étaient de religion chrétienne ou d'ascendance partiellement non juive, ou encore les partenaires, les veufs ou les veuves de conjoints allemands. Les Juifs les surnommaient entre eux les U-Boote (les sous-marins). Certains de ces « sous-marins » durent de survivre au fait qu'ils avaient de l'argent, des nerfs à toute épreuve, une présence d'esprit peu commune et un extraordinaire entregent. Peu d'individus réunissent toutes ces qualités. Les Juifs cachés reçurent un peu d'aide de la part d'une poignée d'Allemands.Mais la plupart du temps, les Juifs clandestins « en plongée » (untergetauchten) comme on les appelait, ne devaient compter que sur eux-mêmes. Pourchassés par la Gestapo, se faufilant entre les mailles de tout le réseau des bureaux du parti et des miliciens nazis, vivant dans des ruines et se faisant passer pour des victimes des bombardements, les «sous-marins » ne restaient jamais à la même place, attendant le moment où ils seraient libérés. Leurs chances avaient beau être des plus minces, leur situation restait malgré tout plus enviable que celles des déportés qui arrivaient aux centres de mise à mort.
Bernard Lichtenberger
A la veille des déportations, un prêtre catholique de soixante-six ans, le Dompropst (prieur du chapitre) Bernard Lichtenberg, de la cathédrale Sainte-Hedwige de Berlin, osa prier ouvertement pour les Juifs, baptisés ou non. A la suite d'une dénonciation, il fut arrêté. En fouillant son appartement, la police trouva des notes pour un projet de sermon dans lequel le prêtre allait demander à ses paroissiens de ne pas croire les allégations officielles qui imputaient aux Juifs l'intention d'exterminer toute la nation allemande. Gardé à vue, il demanda à être envoyé dans l'Est avec les Juifs afin de prier là-bas pour eux. Il fut jugé par un tribunal spécial et condamné à deux ans de détention. Relâché le 23 octobre 1943, il fut appréhendé par la Gestapo pour être emmené à Dachau. Trop malade pour voyager, il mourut en cours de route, dans un hôpital de Hof. Ainsi, une figure solitaire avait fait ce geste peu ordinaire. Dans le bourdonnement des propagateurs de rumeurs et des amateurs de sensations, Bernard Lichtenberg se battit presque seul.Raul Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, Fayard, 1988
Au début, les premières déportations se font de Berlin vers Thesesienstadt, un camp-vitrine, que pouvait visiter la Croix-Rouge. Plus tard, tous seront déportés vers Auschwitz.
A partir de 1943, les convois partent directement vers Auschwitz :
12 janvier 1943Un transport quitte Berlin avec 1000 Juifs déportés au camp d'extermination d'Auschwitz. 29 janvier 19431000 Juifs quittent Berlin à destination du camp d'extermination d'Auschwitz. 9 février 1943950 Juifs sont déportés de Berlin, capitale du Reich, au camp d'extermination d'Auschwitz. 19 février 19431000 Juifs sont déportés de Berlin au camp d'extermination d'Auschwitz. 26 février 1943900 Juifs sont déportés de Berlin au camp d'extermination d'Auschwitz. 27 février 1943Les Juifs travaillant encore pour l'industrie de guerre à Berlin sont déportés au camp d'extermination d'Auschwitz. 17 mai 1943395 Juifs sont déportés de Berlin au camp d'extermination d'Auschwitz. 19 mai 1943Berlin est déclarée "judenfrei" ("purifiée de ses Juifs"). 22 novembre 1943100 patients de l'hôpital psychiatrique juif de Berlin sont déportés au camp d'extermination d'Auschwitz. 26 février 1944Un transport de 26 Juifs de Berlin arrive au camp d'extermination d'Auschwitz. Les déportés sont tués sur-le-champ. 5 janvier 1945Le dernier train de déportation quitte Berlin à destination du camp d'extermination d'Auschwitz.
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