Commémorer, mais jusqu'à quel point ?

Les cérémonies du 60ème anniversaire de la Libération des camps ont été grandioses. Des rails de feu ont traversé le camp devant des chefs d'Etat médusés. Quel courage n'ont-ils pas eu, relève la presse : ils étaient là « malgré un temps glacial et la neige qui tombait sans discontinuer » souligne l'édition française du Jerusalem Post du 27 janvier 2005.

27 janvier 2005
Exploits pyrotechniques dans le camp de Birkenau, le 27 janvier 2005.

Voici deux réactions, un peu à contre-courant . Celles d'un ancien déporté d'Auschwitz, Serge Smulevic et de sa fille.


     Comme je suis heureux aujourd'hui à Auschwitz. Ils ont astiqué et illuminé les rails, adouci les ressorts des wagons pour nous faire rouler agréablement vers Birkenau,  et cette brume aromatisée, c'est quand même mieux que le zyklon.  Quel plaisir de venir aujourd'hui à Auschwitz  - la Brûlante.
     Et tous ces chefs d'état rutilants, pleins de grands sentiments, la bouche en coeur, le pardon à la bouche et la bouche mensongère. Les plus grands représentants des pays autrefois compromis dans les  plus grands crimes, qui avaient quand même un peu froid, quand même un peu trop froid pour aller skier.
     Mais la vodka chaleureuse, les zakouskis bien garnis, le thé chaud et parfumé leur donneront le courage de rester stoïques devant les débris Auschwitziens exposés comme des reliques précieuses.
     Le soir, ils iront se délasser dans les bras voluptueux des Polonaises de Chopin après avoir engouffré
des mets polonais riches en pommes de terre et en cornichons. C'est la bonne ville d'Auschwitz qui les accueillera. Oublions les barbelés arrogants, les baraques encore pleines des odeurs d'antan et cachons vite ces fours crématoires. On se demande bien ce qu'il font là ?  Belle promenade s'il ne faisait pas si froid, on essayera de venir à une autre saison. Ça manque seulement un peu de musique ; faudra revoir ça. Ah tous ces bons violonistes juifs qui ont disparu, ah tous ces bons cuisiniers juifs qui préparaient si bien les beigels, ah tous ces bons cuisiniers juifs qui faisaient du si bon tchoulent. Mais il est tard, faut fermer la boutique et aller dormir. On trouvera bien un hôtel avec des lits convenables... On n'est quand même pas venus ici pour dormir dans les lits du camp, non ? manquerait plus que ça ?
     Bon demain retour au pays du bien-être et oublions vite ces petites misères d'un pays qui se sent mal dans sa peau.
Serge Smulevic, 27 janvier 05
Le prince Edouard, Chirac et Poutine lors des cérémonies du 60ème anniversaire de la Libération du camp d'Auschwitz, le 27 janvier 2005
Le prince Edouard, Chirac et Poutine lors des cérémonies du 60ème anniversaire de la Libération du camp d'Auschwitz, le 27 janvier 2005


COLÈRE


Trop de monde, trop de foule, trop de houle
Une commémoration
Une célébration
Ou une profanation ?
Ils piétinent vos allées
Visitent vos chambrées
Ils s’indignent du froid
Cachés dans leurs parkas
De discours en chansons
Prières œcuméniques
Je cherche l’émotion
Et j’en deviens cynique
On parle de vestiges, des ruines des crématoires
C’est tellement plus parlant que les livres d’histoire
On parle d’indicible, de devoir de mémoire
Ça ne ressemble à rien
Qu’à une immense foire
On embrase la rampe
On gémit, presque on rampe
On marche dans vos  pas
Mais on n’y était pas
C’était un mausolée
C’est devenu un musée
Enfoui sous la poussière
Des cendres de nos pères
Fallait-il, pour ne pas oublier
S’en souvenir
Soixante ans après…

Myriam         


Liens :

Vers des informations sur la libération du camp d'Auschwitz.
Vers une page sur la libération des camps.
Vers une page sur la mort du poète Robert Desnos, au moment de la libération des camps.
Vers une page où Serge Smulevic évoque les journées qui ont suivi sa libération.

Voir aussi mes réflexions à l'issue d'un voyage : Auschwitz n'est pas à Auschwitz


    
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